Vers un socialisme désocialisant

Dans une interpellation parlementaire déposée le 16 décembre 2022, la conseillère nationale Gabriela Suter (PS/AG) déplorait l’inexistence d’un «droit au télétravail» dans la loi suisse. La sacralisation d’une telle pratique aurait pourtant des conséquences délicates.
Répondre à son patron dans son petit enfer sur mesure, le nouveau rêve d’une conseillère nationale PS. Unsplash
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«Sauf disposition contractuelle expresse, en effet, il n’y a pas [en Suisse] de droit au télétravail, déplore madame Suter dans son texte adressé au Conseil fédéral. Si l’employeur refuse une demande en ce sens, l’employé ne peut faire autrement que de l’accepter». Pour remédier à cette situation, l’élue socialiste appelle de ses vœux une modification de l’encadrement juridique du travail à domicile, sur le modèle des Pays-Bas où depuis 2015, explique-t-elle, «les employés nouvellement engagés peuvent exiger de leur employeur qu’il les autorise à télétravailler au moins partiellement». Certes, l’élue de gauche reconnaît qu’il faut pour cela que «le métier concerné et le fonctionnement de l’entreprise le permettent», mais le mot est lâché: plus qu’une modification de l’encadrement légal, il faudrait proclamer là un nouveau «droit», qui impliquerait donc la possibilité pour les employés d’«exiger» de leurs patrons qu’il soit respecté.
C’est là, précisément, que le bât blesse. Jean Romain (PLR/GE), député au Grand Conseil genevois et écrivain, pointe les difficultés que pose une telle mesure, bien qu’il reconnaisse l’intérêt «ponctuel» du télétravail: «Dès lors que vous faites entrer un nouveau droit quelque part, il peut être revendiqué. Et si le supérieur hiérarchique s’y oppose, il y a un conflit juridique». Et l’élu genevois de dénoncer une situation qui pourrait mettre en difficulté certaines entreprises: «C’est au patron de dire ce qu’il faut pour son entreprise, non pas à l’employé de réclamer un droit qui pourrait mettre en péril, dans certaines situations, la survie des petites entreprises».

Même son de cloche du côté du centriste valaisan Sidney Kamerzin, collègue de Gabriela Suter au Conseil national: «Au niveau des entreprises, il faut laisser la possibilité d’inciter. L’obligation, toutefois, ne peut pas fonctionner. La décision doit être prise d’un commun accord entre l’employeur et l’employé, sans faire l’objet d’un droit unilatéral difficile à mettre en œuvre dans certains cas». Et l’élu de l’ancien PDC de dénoncer une double discrimination qu’impliquerait ce droit: «D’une part entre les métiers du secteur primaire pour lesquels le télétravail est impossible, et les métiers du tertiaire notamment. Mais aussi entre les petites entreprises pour lesquelles le télétravail ne convient pas du tout, et les plus grandes entreprises dans lesquelles il peut être mis en œuvre».

Valentin Aymon (PS/VS), conseiller communal dans le village de Savièse et député suppléant au Grand Conseil valaisan montre une certaine prudence à l’égard de la proposition de sa collègue de parti: «Je ne suis pas en désaccord total avec madame Suter, mais je pense que le télétravail ne doit concerner que certains cas particuliers, sans devenir un droit fondamental». Le problème majeur serait l’aspect contraignant d’une telle mesure: «Contraignante pour les employeurs, mais aussi pour les employés!» En effet, explique-t-il, «un patron peu scrupuleux pourrait aussi chercher à économiser sur les coûts des locaux, du loyer ou du matériel, en demandant à ses employés de travailler à la maison». Autre point, le Valaisan se méfie également de la «porosité entre vie professionnelle et vie privée» induite par le home office. «Il doit y avoir un droit à la déconnexion, un droit de ne pas être joignable».

Sidney Kamerzin partage la même inquiétude: «On sait que la présence permanente du professionnel dans le milieu familial peut générer de fortes tensions», à quoi il faut ajouter, sans nier les «vertus évidentes du télétravail», un risque de «désocialisation professionnelle», de «perte de contact avec les collègues». Le parti socialiste qui promeut la désocialisation? Rien d’étonnant pour Jean Romain: «Ça fait longtemps que le parti socialiste ne travaille plus pour une ʻsociété socialeʼ, mais est en train de mettre en place un système qui n’a plus rien à voir avec la tradition socialisante». Et pour cause: «Le socialisme est un immense courant de pensée qui est en train de se faire mettre sur la touche. Pour essayer d’exister, il lui faut trouver un certain nombre de combines politiques de façon à occuper le devant de la scène».

Reste que l’intervention de madame Suter n’était qu’une interpellation, «un moyen d’obtenir des réponses» du Conseil fédéral, comme nous l’explique Sidney Kamerzin. «Si elle faisait le choix d’une intervention plus contraignante comme une motion ou une initiative parlementaire, continue-t-il, je ne vois pas comment, aujourd’hui, une majorité pourrait se constituer sur le sujet. La bascule se ferait au niveau de notre parti (Le Centre) et peut-être chez les Vert’libéraux, mais ces derniers restent très attachés à la liberté des entreprises».

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