Une vie avec Homère

Hélène Waysbord vient de publier aux éditions Les Belles Lettres un livre qui a pour titreTalon d’Achille. A travers ce récit éminemment poétique, Mme Waysbord nous invite à une démarche singulière dont on ne ressort pas indemne.
Hélène Waysbord a fait l’expérience d’Ulysse descendant aux enfers pour rencontrer ses parents assassinés. Unsplash / Fadjar Djuliza
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U ne classe du secondaire I, un enseignant et des exposés à choisir et surtout à faire. Parmi tous les sujets un seul suscite l’intérêt du cancre: la guerre de Troie. Après le choix effectué, l’enseignant lance à la cantonade: «Sernine, lisez Homère!» C’était il y a plus de trente ans, pourtant c’était hier. Je me souviens du bouclier d’Achille, du catalogue des vaisseaux et surtout de Priam implorant Achille de lui rendre le corps de son fils Patrocle. Je pense que, ce jour-là, l’adolescent boutonneux et timide a commencé à tracer son propre chemin et non plus à suivre celui tracé par ses parents. Depuis lors j’ai toujours pensé que si je devais emporter un livre sur une île déserte ce seraient les œuvres d’Homère.

Le livre de Mme Waysbord n’est pas un énième commentaire savant ou analyse de l’œuvre du poète grec. Il s’agit du récit de sa vie en pointillé mêlé aux figures héroïques d’Homère. Il y a comme un aller et retour entre la vie de l’auteur, l’histoire, l’actualité même et Ulysse, Hélène, Andromaque, Hector, Patrocle, Priam.

Âgée de 86 ans, Hélène Waysbord nous parle de son enfance et de la perte de ses parents arrêtés et déportés en automne 1942. Ils mourront à Auschwitz. Elle nous parle de sa vie à la campagne, petite enfant juive cachant son identité. Agrégée de lettres classiques, Mme Waysbord connaît bien l’œuvre de l’aède aveugle. Le texte d’Homère devient prétexte, miroir pour relire sa vie. Elle fait l’expérience d’Ulysse descendant aux Enfers pour y rencontrer ses parents défunts: «Quand le besoin s’est imposé de retrouver une trace, il m’a fallu moi aussi, comme Ulysse, entreprendre le voyage au pays des morts…». En fait Hélène Waysbord nous convie à une véritable odyssée intérieure: «J’écris pour accomplir un trajet incertain, un retour vers des parents disparus, un moi oublié, insaisissable à jamais». En effet, son ouvrage est une invitation au «nostos», au retour vers notre patrie intérieure: «L’écriture est un pays. J’y navigue souvent la nuit sans boussole. Dans l’invisible, les mots circulent, se coagulent comme des îles minuscules, juste le temps d’y mettre un pied, ils s’effacent aussi vite qu’ils ont été apportés.»

Au milieu de la médiocrité et de la grisaille qui nous entourent, Mme Waysbord nous invite à larguer les amarres et à lire Homère en miroir avec notre propre existence, à le choisir comme un guide sûr dans la descente indispensable vers les Enfers pour nous retrouver un jour dans notre Ithaque bien-aimée, car «il faut revenir sur ses traces et par les mots donner la seule réparation à notre portée. Guérir le temps de ses blessures. » Comme l’indique le sous-titre du livre, finalement «toute vie est un bricolage mythologique».
Hélène Wasybord, Talon d’Achille, Les Belles Lettres 2022.

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