Une soignante face au cauchemar de l’avortement tardif

Réalité prégnante pour le personnel médical, presque invisible dans le débat public: l’avortement tardif donne lieu à des pratiques pour le moins troublantes…
Sur les dix mille à onze mille avortements recensés chaque année par l’Office fédéral de la statistique dans notre pays, environ 150 sont pratiqués à partir de la 17e semaine. Unsplash
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«Dans le milieu, on appelle ça le ʻsale boulotʼ», explique une soignante que nous avons rencontrée. Confrontée dans son métier à la pratique de l’avortement, Agnès1 décrit une pratique pénible: «Dans les maternités, nous sommes tous confrontés aux avortements tardifs, puisqu’au-delà de 14 semaines de grossesse, un accouchement est nécessaire.» Ce qu’on nomme parfois, pudiquement, «interruption de grossesse à un stade avancé» désigne les avortements pratiqués au-delà du délai légal, 12 semaines en Suisse, pendant lequel l’avortement peut être pratiqué sans réelle restriction.

Ce cas de figure peut donc concerner tous les stades de la grossesse, en théorie jusqu’au terme. Sur les dix mille à onze mille avortements recensés chaque année par l’Office fédéral de la statistique (OFS), environ 150 sont pratiqués à partir de la 17e semaine, «dont une quarantaine au cours de la 23e semaine ou plus tard», précise un document de la Commission nationale d’éthique (CNE), paru en 2018. Ce nombre, certes restreint, n’en représente pas moins des situations très dures pour les soignants concernés: «Le cas le plus tardif auquel j’ai été confrontée, témoigne Agnès, c’est un bébé de 30 semaines. Le bébé était déjà mort au moment de l’accouchement, mais c’est un moment extrêmement difficile, puisqu’on se retrouve avec un enfant de 7 mois dans les bras, qui aurait pu vivre.»




“Le cas le plus tardif auquel j’ai été confrontée, témoigne Agnès, c’est un bébé de 30 semaines.”

Une soignante

Car à partir de 22 semaines, «dans certaines circonstances et avec un soutien médical adapté», la survie du bébé est possible à la naissance, toujours selon la CNE. Et la soignante de préciser: «Un bébé qui naît prématurément à 24 semaines, par exemple, est réanimé, dans la mesure du possible. Seulement, dans le cas des avortements, on les tue généralement avant la naissance par une injection de chlorure de potassium dans le cœur.» C’est ce qu’on appelle en langage médical le «fœticide».

Cette pratique repose sur une particularité du code civil, comme nous l’explique un ancien membre de la CNE que nous avons pu contacter: «Un fœtus n’est considéré comme une personne qu’une fois la naissance accomplie, et s’il est vivant»2 avant d’ajouter: «Avant la naissance, le statut juridique du fœtus permet la pratique légale du fœticide.» Le protocole n’est pas sans faire froid dans le dos: «Dans le cas d’un fœticide, un obstétricien spécialisé en médecine prénatale injecte, sous vision échographique, une substance (chlorure de potassium) dans le fœtus, généralement par voie intracardiaque, ce qui entraîne un arrêt cardiaque fœtal. Le fœticide peut également être pratiqué par injection de digoxine dans le cordon ombilical ou le liquide amniotique. Pour s’assurer que le fœtus ne ressent pas de douleur, des analgésiques anesthésiques ou des sédatifs peuvent être administrés.»

Le bébé est tué parce qu’il pourrait être encore vivant en naissant

Toujours selon le CNE, trois établissements en Suisse pratiquent le fœticide «indépendamment de la semaine de grossesse», donc potentiellement jusqu’au terme. En revanche, si le fœticide n’est pas pratiqué, ou échoue, le bébé naissant avec des signes de vie devra être réanimé et soigné. Ainsi, le bébé est tué parce qu’il pourrait être encore vivant en naissant. La formulation de la CNE est on ne peut plus claire: «[La survie du fœtus], dans certaines circonstances […] est possible. C’est pourquoi un produit létal est parfois administré au fœtus dans l’utérus pour qu’il naisse sans vie.»

Contacté, le rédacteur en chef de la Revue médicale suisse Bertrand Kiefer n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Nous avons toutefois pu recueillir les propos du Chef des affaires juridiques et éthiques de l’Hôpital du Valais, le Docteur Damian König: «Bien sûr, c’est une problématique grave et complexe et la situation actuelle n’est pas parfaite d’un point de vue du droit et de l’éthique». Et de préciser sur la question du fœticide: «La loi suisse privilégie la ʻsécurité du droitʼ [le fait de fixer des critères clairement identifiables] pour déterminer le moment à partir duquel l’être humain est protégé. Le droit privilégie également les intérêts de la femme et son autonomie, par rapport à ceux de l’être humain à naître. Si la norme juridique (ici le Code pénal) permet de protéger certains biens et de promouvoir certaines valeurs, elle provoque aussi inévitablement des tensions et des situations indésirables.» Et Damian König de conclure: «En ce qui concerne les interruptions de grossesse à un stade avancé, la législation actuelle fait très largement confiance aux médecins, chargés d’établir si les risques encourus par la femme enceinte justifient la pratique de l’avortement. On pourrait aussi imaginer fixer un autre critère que la naissance [ndlr: comme moment où le fœtus devient une personne], mais cela engendrerait de nombreuses autres difficultés sur le plan pratique, juridique et éthique.»

  1. Prénom d’emprunt
  2. Art. 31 (CC)
    1. La personnalité commence avec la naissance accomplie de l’enfant vivant; elle finit par la mort.

    2. L’enfant conçu jouit des droits civils, à la condition qu’il naisse vivant.

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