Une précocité politique qui divise

Tous partis confondus, les sections «jeunes» multiplient les initiatives, avec fracas parfois. Alors que la question du droit de vote à 16 ans agite les esprits, peut-on jurer que la démocratie y gagne vraiment?
Septembre 2021, les Jeunes PLR vaudois menaient une action à base de roses fanées pour dénoncer les risques de l’initiative «99%». JLRV

Initiative «99%» de la jeunesse socialiste, légalisation de la polygamie proposée par les Jeunes PLR, gratuité des transports publics voulue par les Jeunes Verts… l’implication croissante de la jeunesse en politique semble entraîner une forme de radicalité. Cet engagement militant très marqué – que de nombreux observateurs voient d’un bon œil – est-il réellement souhaitable?

Nicolas Jutzet, ancien membre du PLR – dans lequel il s’était engagé à 20 ans – et ancien coordinateur de la campagne «No Billag» en Suisse romande, parle d’expérience: «Avec le recul, je conseillerais à un jeune de ne pas s’engager dans un parti politique pour ne pas s’imposer de carcan collectif et demeurer un esprit libre.» Pour le Neuchâtelois, actif maintenant dans la sphère métapolitique avec son média Liber-thé, le problème vient de la structure des partis politiques : «Elle mène nécessairement à une forme de conformisme, puisque le parti a intérêt à ce que tous ses membres aient la même ligne.»

Plus à droite, l’ancien président de l’UDC du Valais romand Cyrille Fauchère nuance: «Le cas est différent dans chaque parti. Il est vrai qu’on encourage parfois trop les jeunes à développer un esprit militant sans être suffisamment versés dans la culture du débat d’idées.» Un défaut qui, selon le Valaisan, touche surtout les partis bien implantés dans le tissu local – comme les partis réputés au centre – qui ont moins besoin de faire valoir leurs idées. Pour éviter cet écueil, il convient, ajoute-t-il, «d’encourager les sections de jeunes à fonctionner comme les partis traditionnels, en allant par exemple au contact des autres partis pour ne pas se complaire dans un entre-soi autour d’une position unique.»

« Quand je ne suis pas d’accord avec mes camarades de parti, je le dis clairement. »

Abdelmalek Saiah, PS Yverdon

Qu’en pensent les militants eux-mêmes? La problématique n’inquiète pas Abdelmalek Saiah, Vaudois de 16 ans: «Je ne ressens pas ce problème au PS. Quand je ne suis pas d’accord avec mes camarades de parti, je le dis clairement. Tout comme lorsqu’un autre parti partage une idée que je trouve bonne.» Pour lui, l’engagement des jeunes devrait même être reconnu via un droit de vote à 16 ans déjà. L’Yverdonnois justifie cette revendication par le fait que les jeunes «sont beaucoup plus conscients des enjeux importants, comme le climat et l’égalité, sur lesquels notre société doit se bouger», comme il l’écrivait en substance dans un billet publié le 18 mai dans 24 heures.

En tous les cas, l’abaissement de la majorité civique à 16 ans pose une question cruciale: celle de la maturité nécessaire à l’engagement politique. La frontière qui sépare les opposants et les partisans d’une telle mesure dessine les contours de deux visions opposées de «l’engagement jeune». Pour Cyrille Fauchère, «on a un déficit de maturité à 16 ans, qui fait qu’on ne peut pas appréhender certains sujets de société avec le recul nécessaire. On est encore en pleine formation professionnelle, mais aussi intellectuelle et émotionnelle». Une position qui tranche radicalement avec celle de la présidente du parti socialiste vaudois, Jessica Jaccoud, pour qui «le fait de considérer que les jeunes de 16 ans doivent être en mesure de chercher un travail, de trouver une place d’apprentissage, de gérer leur vie, tout en leur disant qu’ils ne sont pas matures pour voter, est une aberration totale. D’autant plus que les jeunes générations ont montré leur volonté de s’exprimer sur les sujets qui les concerneront dans le futur.»

Après un refus dans les urnes zurichoises à la mi-mai, les Bernois auront bientôt l’occasion de voter à leur tour sur le droit de vote dès 16 ans.

Commentaire

La question de l’engagement politique s’est posée pour moi lorsque j’avais quinze ans. J’étais, à l’époque, traversé par quelques velléités d’adhésion à un parti, que mes parents ont eu le bon sens de raisonner à temps. Du haut de mes vingt ans, je revois avec amusement ces ardeurs juvéniles, et j’observe avec une certaine circonspection les jeunes de mon âge qui ont fait ce choix du militantisme.

J’ose le dire: ces jeunes ne sont pas à leur place. Un adolescent, quoi qu’on en dise, n’a pas encore le recul nécessaire à l’engagement politique. Et ce pour une raison simple: il n’a pas encore pu faire l’expérience de la fragilité de ses propres convictions. Il est encore la victime de ce que les psychologues appellent «l’effet Dunning-Kruger», qui veut qu’un novice dans un domaine surestime nécessairement ses compétences, avant que l’expérience ne lui enseigne que le chemin de la maturité est encore long.
L’adolescence est encore l’âge de l’éducation, où l’on apprend l’engagement associatif, la fidélité à son club sportif ou à sa fanfare par exemple, le tout dans l’humilité et le respect des anciens. Les partis politiques qui s’appuient sur la détermination naïve des jeunes à s’engager se rendent coupables de les en empêcher, car ils en font trop tôt les adultes qu’ils ne peuvent pas encore être. AB

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