Une impunité qui déroute

Les militants, dont Julia Steinberger (à g.), lors du blocage de Berne, le 11 octobre. Renovate Switzerland

E ntre le 4 et le 19 octobre, Renovate Switzerland a frappé sept fois. Dernière cible en date: la sortie de l’autoroute A3 à Zurich.
Contacté juste après le sixième blocage, le mouvement refusait de qualifier ses actions d’actes terroristes. «Il est évident que voir des citoyens et citoyennes ordinaires sacrifier leur liberté et leur confort peut faire peur. Parce que cela nous confronte à l’ampleur de l’urgence et de la catastrophe», affirmait Cécile Bessire, responsable presse pour RS. Et de poursuivre sur un ton larmoyant et catastrophiste: «Se confronter à la réalité est terrorisant. Se confronter à un monde à +5 degrés est terrorisant, parce que cela signifie 3,5 milliards de personnes sur les routes, des famines, de la violence, des conflits armés, la mort et la souffrance tout autour de nous. Penser à l’irresponsabilité du Conseil fédéral est terrorisant, car en ne prenant pas de mesure climatique à la hauteur, il cautionne le pire crime de l’histoire de l’humanité et nous condamne à un futur invivable.»

Maxime Meier, ancien président des Jeunes PLR vaudois, évoque lui aussi la peur, mais d’une autre nature: «J’ai été choqué par les images des militants de RS qui se lançaient sur la route depuis la bande d’arrêt d’urgence. De telles actions sont surprenantes, voire traumatisantes, aussi bien pour les activistes que les automobilistes. Imaginez le pauvre conducteur qui se retrouve avec un militant qui se jette sous ses roues.» Le président du Centre du canton de Vaud, Emilio Lado, regrette également la nature clivante des actions de RS: «Si les actions peuvent mettre en lumière des problématiques réelles, à savoir le dérèglement du climat, j’estime qu’elles peuvent aussi polariser le débat. De ce fait, les parties s’opposent plus qu’elles ne se parlent. Comment trouver une issue favorable alors que le débat et la recherche de consensus sont impossibles?»

Bien que contrariés par les actions de RS, les deux politiciens n’estiment pas que les autorités soient trop laxistes. Celles-ci font déjà le maximum d’après Maxime Meier: «On ne peut pas mettre un policier sur chaque autoroute. Et lors des blocages, les interventions sont rapides et proportionnées.» Son confrère du Centre ajoute: «Nous sommes en démocratie, libre à chacun de s’exprimer et manifester, dans les limites de ce que la loi permet. A titre personnel, je n’aime pas ces méthodes, elles impactent négativement les citoyens, qui ne demandent qu’à aller travailler, chercher ou déposer leurs enfants à la crèche, etc.».

Grands oubliés des débats depuis le début des agissements des militants climatiques, les ambulanciers. Si la faitière Swiss Paramedic Association ne souhaite pas commenter les actions ou les réactions sur le plan politique, son porte-parole Miró Gächter déplore que le flux de circulation ait été entravé: «Il y a eu plusieurs embouteillages de longue durée. Nous n’avons cependant pas connaissance d’un cas où un véhicule de secours aurait été gêné par une telle action. Nous souhaitons néanmoins appeler la population à former systématiquement une voie de secours en cas d’embouteillage (quelle qu’en soit la raison). Nous partons du principe que toutes les personnes concernées, y compris les manifestants, laisseraient passer immédiatement un véhicule de secours.»

Pas une surprise

La différence notable entre les sept derniers blocages et les précédents, en début d’année, réside dans le fait que ces nouvelles actions avaient été annoncées par RS. Dès lors, Le Peuple s’est dirigé vers le Service de renseignement de la Confédération (SRC) afin de savoir si le groupe d’activistes était sous surveillance. Malheureusement, le SRC ne «s’exprime ni sur ses activités opérationnelles, ni sur des cas, des mouvements ou des organisations particuliers». Il nous a toutefois répondu ceci: «Pour que le SRC puisse prendre des mesures préventives dans le domaine de l’extrémisme violent, il ne suffit pas de connaître le contexte idéologique ou politique des personnes, des organisations ou des événements à venir. Le facteur décisif est la référence effective à la violence (c’est-à-dire le fait de commettre, encourager ou lancer un appel concret à l’utilisation de la violence) par des personnes, des organisations ou des événements à venir. Les personnes qui se radicalisent politiquement ne relèvent donc pas de la compétence du SRC tant qu’aucune référence concrète à la violence ne peut être établie. De ce fait, la scène des activistes du climat en tant que telle ne relève pas de la compétence du SRC. L’implication éventuelle de groupes ou d’individus extrémistes violents dans les activités des activistes du climat est traitée par le SRC dans le cadre de son mandat légal. Dans ce contexte, le SRC évalue en permanence la situation et est en contact avec les polices cantonales et fedpol.»

Présente en tant que maman

Autre différence dans les dernières actions de RS: la présence d’une «personnalité» sur un des blocages: Julia Steinberger. Cette chercheuse en économie écologique à l’Université de Lausanne ne met toutefois pas en avant cette casquette: «Je suis ici en tant que maman, en tant que citoyenne, en tant qu’enseignante et en tant que scientifique. Ce n’est pas une exagération d’affirmer que l’habitabilité de notre planète est en train d’être détruite sous nos yeux. Ce qui serait insensé, ce serait de ne pas faire tout en notre pouvoir, y compris l’action civile non violente, pour sauver une possibilité d’avenir pour notre espèce et le vivant dont nous dépendons tous.»

Nous avons écrit à l’Université de Lausanne afin de savoir de quel œil l’établissement voyait l’engagement d’un de ses enseignants, si Julia Steinberger risquait des sanctions ou si les professeurs avaient le droit de s’engager en politique, quelle que soit l’idéologie. Mais Géraldine Falbriard, attachée de presse de l’UNIL, reste un peu floue: «L’Université de Lausanne soutient l’engagement public de ses chercheurs dans le respect des lois. Comme le dit la professeure Julia Steinberger, elle-même, elle n’est pas au-dessus des lois, et si elle doit être sanctionnée pour son action, elle répondra à la justice. L’UNIL ne peut se substituer à la justice.»

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