Un ressourcement mal embarqué

«Action de Carême, l’EPER et Être Partenaires réclament plus de justice climatique.» Voilà qui est très bien, mais des ONG proches des Églises peuvent-elle réellement parler comme Extinction Rebellion?
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Les temps ont bien changé pour ceux qui, chaque année, mettaient quelques sous de côté et mangeaient plus léger en temps de carême. Gentiment enjoints à laisser tomber les grillades l’an dernier, les voilà qui, au nom de la lutte contre le gaspillage, se voient aujourd’hui invités à renoncer aux bains. Sinon quoi? Sinon, un individu se verra condamné à voguer sur une embarcation précaire, quelque part en Asie du Sud-Est. En tout cas d’après une nouvelle affiche visible dans nos rues.

Derrière cette communication musclée, un constat: «La crise climatique touche principalement les populations des pays du Sud alors qu’elles contribuent le moins au réchauffement de la planète», comme l’indique le communiqué de la campagne œcuménique 2022. Mais n’est-il pas risqué de réclamer la «justice climatique», notion très militante, lorsque l’on est en lien avec des Églises censées se situer au-delà des clivages politiques? «Nous avons toujours été politiques, rétorque Tiziana Conti, responsable médias et information de l’Action de Carême. Nous ne sommes pas une émanation de l’Église mais une ONG dont les paroisses sont le public principal.» Le travail de l’organisation se déploie sur trois axes: développement de projets durables au Sud, sensibilisation du public au Nord et, en dernier lieu, revendications politiques, comme au niveau de la révision de la loi CO2, jugée «pas assez ambitieuse».  «Il n’est pas facile de trouver un équilibre et Il y aura toujours un mécontent», admet Tiziana Conti. Elle relève que l’an dernier, l’association suisse des bouchers s’était plainte du visuel de la campagne, qui montrait la forêt tropicale brûler derrière les saucisses d’un jeune couple devant leur barbecue.

L’engagement de plus en plus marqué des Eglises et des organisations issues de leur engagement social ne séduit toutefois pas à droite. Déjà, lors de la campagne sur les «multinationales responsables», le soutien des grandes Églises avait fait largement jaser chez les chrétiens frileux sur ces questions. Idem avec certains jeunes PLR, qui trouvaient anormal que des institutions parfois soutenues par les Cantons sortent d’une exigence de neutralité politique.

Commentaire: culpabilité 2.0

L’Évangile demandait aux chrétiens, particulièrement en temps de carême, de laisser Dieu transformer leur cœur. Un certain christianisme humanitaire, aujourd’hui, leur demande de cesser de prendre des bains et de mener la vie dure aux multinationales. Voilà, ça c’est l’interprétation brutale. Reste que l’alignement de la Campagne œcuménique, depuis l’an dernier, sur des procédés publicitaires efficaces, mais volontairement provocateurs, pose de réelles questions de fond: dans la mesure où – de l’aveu même de ceux qui les portent – ces communications s’adressent avant tout aux paroisses chrétiennes, ne faudrait-il pas les rendre un peu plus prudentes? Le danger est aujourd’hui évident: que la surenchère perpétuelle ne finisse par ne plus toucher grand monde, et en particulier dans des communautés au sein desquelles la lutte contre les inégalités fait déjà presque office de religion de subsitution. Certaines urgences écologiques ou sociales sont bien réelles, et un chrétien ne devrait pas vivre la tête dans le sable. Néanmoins, à force de cultiver un sentiment de culpabilité au mauvais endroit, au niveau des habitudes de consommation plutôt qu’à celui de l’âme, les chrétiens achèveront de vider leurs Églises pour faire pousser des ZAD . RP

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