Le rap «libéré» n’apprécie guère les homos

La polémique est vive en France depuis la récente sortie d’un clip du rappeur Tovaritch. Cet artiste franco-russe surtestostéroné y affirme ne pas aimer « les hommes qui sucent des hommes ». Joram Vuille (médaillon), patron du site hip hop reprezent.ch, analyse les ressorts cachés de la polémique.
Gros bras, grosses bagnoles, Tovaritch vise plus la sono des salles de muscu que le prix Goncourt. Instragram
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Taper sur les homosexuels dans ses chansons pour créer le buzz. C’est ça, désormais, la marche à suivre pour se faire connaître dans le rap?

Je pense que Tovaritch a été autant surpris que moi de tout ce buzz. Cela fait des années qu’il est dans le circuit, avec une personnalité et un style bien à lui. Il s’est créé une petite fan base avec son rap que je classerais dans la catégorie «musique de salle de muscu», il n’a jamais prétendu faire plus. Le rap semble être pour lui un petit à-côté et il n’a du reste pas l’air d’être particulièrement à plaindre financièrement. Si je comprends et soutiens complètement le combat contre l’homophobie, j’ai un peu l’impression qu’en s’en prenant à Tovaritch on se trompe de cible.

Mais alors comment expliquer cette mise en scène, une fois la polémique en marche, où il se fait filmer en train d’apporter un gâteau à une association LGBTQIA+?

C’est certainement sa manière de relativiser ses propos, de dire qu’il n’a rien contre les homosexuels. Pour lui, aller offrir un gâteau à une association était une manière d’enterrer la hache de guerre, de dire «bon les gars on peut passer à autre chose maintenant». Ça a été pris comme de la provoc. Alors oui il y en a un peu, mais pour moi on est au niveau d’une blague potache. Ce n’est évidemment pas très malin, mais qu’attendre de plus d’un Tovaritch…? Et puis surtout il me donne l’impression de joyeusement se foutre de toute cette affaire. Pour lui, ce qu’il dit dans son rap n’a rien de violent. C’est une rhétorique commune dans le monde du sport, cette homophobie ordinaire du type  «on est des vrais bonshommes, on n’est pas des pédés». Bien entendu je dénonce ce genre de propos, mais quand on remarque que des centaines de commentaires provenant de la communauté LGBTQIA+ sur sa page Instagram le traitent d’homosexuel refoulé j’ai un peu l’impression que cette homophobie ordinaire est tolérée quand elle émane des concernés…

Toute sa conduite ressemble quand même drôlement à une course au buzz, non?

Au départ c’est une page Instagram LGBTQIA+ qui a créé ce buzz, très vite repris par les associations et certains politiques… Après oui il en joue, il surfe dessus en faisant du Tovaritch. Dans le rap on aime bien cette citation «Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi», donc oui il en profite, mais il ne tombe jamais dans la violence, ça reste potache. Et sans vouloir minimiser le problème réel de misogynie et d’homophobie dans le rap, pour le coup la réelle violence est surtout du fait de la communauté LGBTQIA+ si on en croit les printscreens partagés par Tovaritch dans lesquels on peut trouver des menaces de mort, voire de viol sur sa fille…

On a l’impression que les associations LGBTQIA+ se retrouvent face à un mur, avec cette affaire. Comment l’expliquer?

Il y a certainement plusieurs pistes à explorer, mais selon moi l’une des plus pertinentes est celle des nouveaux modèles de business pour les artistes sur le Net. Tovaritch est un artiste parfaitement indépendant qui streame. Il diffuse sa musique sans avoir besoin d’une maison de disque. Il n’y a personne pour faire pression et lui dire ce qu’il peut dire ou non. Et surtout, quand une polémique éclate il est libre de réagir comme il le veut, il n’a pas à être politiquement correct pour conserver un contrat. Il peut tout simplement s’en foutre… Freeze Corleone, un autre rappeur attaqué pour ses paroles, est un peu dans la même situation. Il était signé en major quand une polémique a débuté, il a refusé de rentrer dans le rang et s’est donc fait virer. Depuis il est un des artistes rap français qui streament le plus et ses concerts sont tous complets (quand ils peuvent avoir lieu). Le fameux tribunal du Net se retrouve désormais face à des gens qui se sont libérés et qui, maîtres de leur destin, peuvent décider de réagir aux polémiques comme ils l’entendent.

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