Le PS Suisse et le coup de la grande dixence

«Faites barrage à l’extrême-droite!». C’est le mot d’ordre délivré par le parti à la rose avant le deuxième tour des élections françaises. Procédé compréhensible ou ingérence ?
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«Est-ce qu’on est bien sur la page Facebook du PS Suisse?». Voici, en substance, le cœur des réactions suscitées par un message publié le 22 avril dernier sur le réseau social. Dans le contexte du duel Macron-Le Pen, la formation politique appelait à se rendre aux urnes «pour une France antifasciste». Et le PS de préciser: «Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, les fondements de la démocratie et de l’État de droit seront en danger. Évitons que l’abstention serve ses intérêts. Votez Macron, faites barrage à l’extrême-droite.» La fin du message, toutefois, masquait difficilement un certain malaise à l’idée de soutenir l’ancien banquier d’affaires: «S’il est élu, il sera possible de combattre toute attaque contre l’État social et la démocratie dans les institutions.» Comprendre: Macron n’est pas le roi des bons types, mais au moins il n’est pas totalement un dictateur, contrairement à son adversaire.
Ces recommandations font dresser les cheveux sur la tête de Yohan Ziehli, collaborateur scientifique de l’UDC Suisse: «Si Madame Le Pen avait été élue, nous nous serions retrouvés avec un parti gouvernemental qui aurait fait face à une personne qu’il avait traitée de fasciste au préalable. Cela me semble inadmissible en matière de bons offices et montre une nouvelle fois que le Parti socialiste est déterminé à miner toute neutralité helvétique, toute capacité, aussi, à jouer notre rôle historique de médiateurs.»
Jean Romain, député PLR genevois, est moins radical, si l’on peut dire. Ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard amusé sur les contradictions intrinsèques d’un tel appel: «La posture politique ne m’intéresse guère, c’est la posture idéologique qui me semble curieuse. On peint le diable sur la muraille et derrière on soutient un opposant politique.» Il lui semble en effet assez «cocasse» que le PS appelle à voter pour un représentant de la droite orléaniste alors que Marine Le Pen est politiquement davantage tournée vers les nécessiteux que son rival, à ses yeux.
«Je suis membre d’un parti qui se veut profondément internationaliste, conclut Pierre Dessemontet, «co-syndic» socialiste d’Yverdon-les-Bains: «Je le suis moi-même: je me sens éminemment européen, et quand bien même mon pays a choisi de ne pas rejoindre le processus d’intégration européenne, c’est un point où je suis fondamentalement en désaccord avec lui. Je me sens profondément concerné par ce qui se passe, politiquement, dans les pays européens, et plus encore quand c’est le grand pays voisin avec qui nous avons tant de choses en commun, à commencer par l’histoire.»
Un point de vue forcément partagé par le co-président du parti et conseiller national argovien Cédric Wermuth: «Se prononcer sur les affaires politiques d’autres pays ne date pas d’hier, surtout lorsqu’elles ont un impact potentiel sur la politique internationale. En l’occurrence, les liens de madame Le Pen avec des banques proches du Kremlin inscrivaient cette élection dans le contexte international.» Il précise bien que le PS a appelé à voter Macron non pas par conviction politique, «mais bien pour appeler à faire barrage à l’extrême-droite. Chaque alternative démocratique est meilleure.»
Ingérence ou non? Le débat dépasse le cadre des élections présidentielles, et s’inscrit dans un changement de perception de la notion de neutralité suisse. Un mot, en tout cas, semble de plus en plus avoir fait son temps: «faire barrage». Comme en rigole l’humoriste français Franjo, «maintenant on fait barrage tous les cinq ans; apparemment on est devenus des castors.»

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