Le grand malaise du mariage homo

Couples homos ou hétéros seront désormais mariés selon le même rite au sein de l’église réformée vaudoise. Un alignement qui ravive de profondes tensions.
Moderniser l’institution du mariage, un pari peut-être trop hâtivement relevé. Unsplash /Nick Karvounis

Dans les milieux chrétiens, il est fréquent d’entendre que les églises doivent «cheminer» avec la société, «être en dialogue» avec elle pour mieux accompagner ses évolutions. Bref, dans la foi comme en politique, «le changement c’est maintenant», c’est-à-dire tout le temps, comme s’il s’agissait forcément d’un bien en soi.

Au sein de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), ce désir d’épouser les nouveaux contours de la société vient de se traduire par une décision qui heurte ses membres de sensibilité plus classique: marier, lors des cérémonies concernées, les couples homosexuels de la même manière que les couples hétérosexuels. Cette unification des rites, déjà en vigueur dans d’autres cantons, a été validée au milieu du mois dernier, lors du synode (l’assemblée légiférante) de l’institution, qui se tenait à Bavois.

Sur le papier, une décision parfaitement démocratique, obtenue au sein de l’organe compétent. Sauf que cette nouvelle couche d’«ouverture» s’ajoute à des mois de tension interne, entre passage du logo de l’église aux couleurs de l’arc-en-ciel ou débats organisés entre convaincus de la libéralisation, en amont de la votation sur le mariage pour tous, l’an dernier. Fuite en avant? Tel n’est pas l’avis du conseiller synodal Laurent Zumstein, grand artisan du projet. «Depuis le premier juillet (ndlr, entrée en vigueur du «mariage pour tous» en Suisse), notre règlement n’allait plus être adapté puisque des changements de vocabulaire devaient être opérés. Le synode a pu choisir entre deux options: le modifier en gardant deux cérémonies ou aller vers une unification. Mais de toute façon, il devait se positionner.» Et de préciser que les opposants, membres d’un courant appelé R3, ont été rencontrés en amont, avec pour résultat la naissance d’une «clause de conscience» pour les ministres refusant de marier des couples homos au même titre que les couples hétéros. «Leur choix ressemblait à celui d’un végétarien à qui on demande s’il souhaite du poulet ou du bœuf: de toute façon ils n’étaient pas d’accord dès le départ.»

Reste à voir la forme que prendra cette fameuse «clause de conscience», voire si ce seul terme sera gardé. Entre ceux qui l’estiment indispensable pour protéger spécifiquement les ministres contre une obligation de se soumettre aux inclinations «gay friendly» de leur église, et ceux qui l’estiment superflue, le combat ne fait que commencer en vue du prochain synode, qui se tiendra en novembre. La crainte sous-jacente des milieux conservateurs est qu’une défense du mariage traditionnel ne se transforme à terme en frein à l’embauche pour certains pasteurs. Une inquiétude que la surcommunication de l’EERV sur ses valeurs sociétales toujours plus libérales n’est pas de nature à apaiser.

Désir de vengeance

Dans un communiqué envoyé dans la foulée de la décision du synode, le courant «confessant» R3 affirmait d’ailleurs que l’Église n’est pas tenue d’adapter sa compréhension du mariage aux «évolutions morales enregistrées par la législation civile». Son auteur, Martin Hoegger, déplorait également des documents préparatoires «clairement orientés» et une commission d’examen peu représentative de la diversité des points de vue existants sur la question du mariage homo au sein de l’EERV. Et de citer la Bible, qui incite les chrétiens à ne pas se «conformer au monde présent».

«Nous ne voulons pas d’une Église qui suive le monde, nous voulons d’une Église qui entraîne le monde.»

Gilbert Keith Chesterton écrivain britannique, 1874-1936

Les liens étroits entre une église subventionnée et l’état sont-ils à l’origine de cet alignement sur les normes de la société civile? C’est ce qu’estiment certains paroissiens, qui jugent que l’EERV aurait pu résister, sans mettre son statut d’«institution d’utilité publique» – et donc sa subvention – en danger. «Mais on préfère se laisser pénétrer par l’esprit du temps», déplore un fidèle, qui ne cache même pas un certain «désir de vengeance». Un appétit de revanche heureusement tempéré par la compagnie d’autres chrétiens dans des groupes de maison, nés après l’introduction d’une bénédiction spécifique pour les couples gays en 2013. «Je ne me sens pas moins pécheur qu’un homosexuel», précise ce membre du R3, qui se dit surtout blessé par un certain manque de considération au sein de l’institution, laquelle aurait procédé à une «redéfinition du mariage» pour le moins hâtive. Une démission du synode, de la part d’un membre heurté par la manière dont les récents événements se sont déroulés, est également évoquée.

Un épuisement théologique

Également subventionnée, l’Église catholique n’est en tout cas pas près de vivre un épisode similaire. Des raisons administratives sont en cause: «Sa structure, dans le canton de Vaud et de manière générale en Suisse, est duale, avec des fédérations qui traitent directement avec les autorités politiques, et des autorités pastorales, notamment les évêques, qui ont un autre statut», explique Olivier Schöpfer, porte-parole dans le canton de Vaud. Sans entrer dans le fond du débat, cette situation rend, selon lui, l’Église catholique moins sujette à une quelconque course à l’alignement sur les décisions politiques. Ce qui n’empêche pas certains courants de regarder avec délectation les virages de leurs frères et sœurs réformés, à l’instar d’un agent pastoral qui, dans les colonnes de La Broye, vient de faire fort: il y salue une approche «plus pragmatique de la sexualité et sa complexité» et remercie ses amis réformés pour leur lecture «actualisée et ouverte» de l’écriture, préparant l’entrée dans un temps nouveau dont le catholicisme ferait bien de s’inspirer.

Crainte par les institutions, espérée par certains de leurs membres conservateurs, une future scission entre Églises et État se situe certainement en arrière-plan de toutes les tensions. Avec cette certitude que le jour où un parti de gauche demandera la fin des subventions, les institutions religieuses perdront à coup sûr. «Mais il n’y a pas de pression exercée par l’autorité politique», souligne un observateur, qui ne voit personne au Conseil d’état demander des femmes prêtres, par exemple. Aux yeux de cet universitaire, la situation actuelle relève surtout de «l’épuisement théologique». C’est elle qui conduit des institutions qui se vident à se targuer d’être chaque jour un peu plus en phase avec la modernité. Mais, toujours à ses yeux, c’est peut-être elle aussi qui incite les courants conservateurs à sauter sur la moindre occasion pour dénoncer des dérives fondamentales alors qu’elles ne portent pas sur le cœur de la foi.

Commentaire

Dans l’article rédigé par une consœur de Protestinfo, et publié par 24 heures au lendemain du synode, il était question d’un «toilettage» de règlement qui devait être effectué en matière de mariage homo. Le terme, qui n’engage certes pas l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), est terrible. Serait ainsi sale, voire susceptible de subir le passage d’une brosse à WC, tout ce qui, en matière de religion, s’appuierait sur une vision classique de la famille. Mais comment s’en étonner alors que la sacro-sainte injonction à «suivre le mouvement» semble constituer le cœur de l’évangile, chez certains? L’écrivain britannique Chesterton avait exprimé son désir d’une église qui ne suivrait pas le monde, mais qui le secouerait. Que l’on soit favorable ou non aux innovations rituelles au sujet des couples homosexuels, force est de constater que nos institutions sont désormais largement alignées sur des fonctionnements démocratiques, qui donnent le ton même pour des besoins peu présents. L’on a peu entendu dire que les cantons où des mariages homos peuvent déjà être célébrés religieusement ont vécu un raz-de-marée de demandes en ce sens. Dès lors, face à ce qui apparaît avant tout comme un vaste exercice de communication, on peut douter qu’une application stricte des règles démocratiques soit réellement la bonne matrice pour des innovations majeures dans le domaine de la foi. Le jour – pas si lointain – où les «trouples» seront entrés dans les mœurs, nombreux seront peut-être ceux qui ne voudront pas juger leur amour. Une «lecture dynamique» de la Bible sera alors certainement possible pour accompagner rituellement un nouveau changement de société.

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