Le «coming out» d’un socialiste orthodoxe

Le député suppléant valaisan Valentin Aymon vient d’attirer l’attention soupçonneuse de Blick. En cause, son opposition aux frasques de sa camarade et conseillère nationale Tamara Funiciello. Depuis la votation sur la réforme de l’AVS, cette dernière se dit en effet en guerre avec les «hommes blancs, riches et âgés». Des propos décevants aux yeux de ce socialiste à l’ancienne, pour lequel la lutte des classes passe bien avant des divisions «sociétales» plus ou moins artificielles. C’est ce qu’il a tenu à exprimer dans lepeuple.vs, feuille du parti dans le Vieux Pays, qui n’a évidemment rien à voir avec votre titre bien-aimé.
PSVR
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Vous appelez votre collègue à «faire la guerre» aux possédants et non plus aux Blancs, hétérosexuels ou vieux en tant que tels. Pourquoi ne pas rompre tout court avec cette idée qu’il faudrait faire la guerre à des gens?

Je remarque après coup que je suis tombé dans les mêmes travers que je reproche à ma collègue. Ce n’est évidemment pas aux personnes que je veux m’en prendre, mais à la classe qu’ils représentent. Mes collègues députés, par exemple, ne sont pas des êtres humains que je voudrais supprimer, mais il y a parmi eux des idées contre lesquelles je me bats. Je vous rassure toutefois: je ne ferai pas fusiller les riches le jour où il y aura la révolution (rires).

Plus sérieusement, quand on milite à gauche, on veut forcément renverser le système capitaliste. On peut faire la révolution en armes, comme la Russie en 1917, mais on peut aussi faire des petites révolutions, notamment par des réformes législatives, qui, cumulées, débouchent sur une grande. En Suisse, on a la chance de vivre en démocratie et de pouvoir agir pour le bien de la société autrement qu’avec des fusils.

Ancien président du Parti socialiste, Christian Levrat est désormais à la tête de La Poste. Lui déclarez-vous la guerre en tant que privilégié?

Cela pourrait effectivement devenir un problème s’il ne voulait pas participer à hauteur de ses moyens à la bonne marche de la société. Le problème, avec les riches, n’est pas forcément qu’ils possèdent beaucoup. C’est qu’ils essayent toujours d’optimiser leur fiscalité, d’échapper à l’impôt, et de privilégier un mode de vie égoïste. Si un riche redistribue sa richesse, si, comme employeur, il fait participer ses employés au bien commun, c’est beaucoup moins problématique. Cela étant, si le patron veut donner son entreprise à ses travailleurs, ça nous va aussi. Notre slogan est le suivant: «Tous égaux, tous riches», et non pas «Tous égaux, tous pauvres», comme on nous le reproche parfois.

Considérez-vous que la gauche se perd de plus en plus dans des luttes sociétales?

Elle ne se perd pas, mais elle a oublié de mettre l’accent sur la lutte sociale, ça oui. A mon sens, cela devient un problème parce que de plus en plus de personnes qui sont dans le besoin glissent vers l’UDC ou le PLR devant certaines options idéologiques, alors que je n’ai pas l’impression que ce sont des partis qui défendent les plus petits, avec leur promotion des cadeaux fiscaux et de législations plus libérales sur le droit du travail.

La sensibilité que vous exprimez semble assez originale désormais au PS. Craignez-vous une rupture?

Elle est originale au sein des sphères dirigeantes, mais pas chez les gens ordinaires, c’est-à-dire au niveau de la base. J’appelle à renouer le dialogue avec cette couche-là et à trouver des compromis entre les aspirations des différents milieux représentés au sein du parti.

La gauche perd-elle le peuple?

Sur certains sujets elle le gagne: je peux citer le droit de timbre, la réforme fiscale, le droit des entreprises… De manière générale, les gens viennent vers nous quand on parle d’amélioration de l’accès à la santé ou à la formation, par exemple. C’est plus difficile pour nous de nous positionner sur des sujets purement émotionnels concernant les modes de vie des uns et des autres par exemple. Ce n’est pas notre rôle de dire aux gens ce qu’il faut faire ou non dans leur chambre à coucher. Cela reste des questions individuelles, éloignées du cœur de la lutte sociale.

Fissures

C’est devenu une étrange réalité depuis le lancement de ce journal: régulièrement, des contacts de gauche nous font discrètement part de leur désarroi face à des camarades déconnectés de la réalité des populations qu’ils sont censés défendre. En cause, de nombreuses heures perdues à tenter de garder le contact avec les derniers développements de la doctrine woke (voir lexique page suivante) au lieu de se pencher sur l’explosion des factures des gens ordinaires et de leurs familles. Signe des temps, cette armure progressiste semble enfin se fissurer au sein du Parti socialiste, comme le souligne la récente interview du jeune député genevois Youniss Mussa dans Le Temps. Amateur de foot et de motos, l’élu y livre son désir d’une gauche qui cesserait de vouloir tout interdire et qui ferait davantage rêver. Comment ne pas faire le lien avec le socialisme à l’ancienne défendu par Valentin Aymon?
Pour faire revenir le peuple à la lutte anticapitaliste, Orwell exprimait une solution assez proche dans le Quai de Wigan (1937). Elle passait par un grand ménage à effectuer au sein des militants: «Faire un grand tas des sandales et des chemises couleur pistache et les brûler, puis envoyer chaque végétarien, abstinent total et autres Christs de pacotille faire leurs exercices de yoga à Welwyn Garden City (ndlr une cité-jardin des environs de Londres)». Deviendrons-nous collectivistes une fois ce retour aux fondamentaux effectué? Pas forcément, mais l’on pourra alors de nouveau parler politique, authentiquement, et cesser de répondre point par point au magistère moral de politiciens à des années-lumière de nos préoccupations vitales.

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