La politique de l’immobilisme

Coïncidence estivale. Fin juillet, trois sujets genevois ont l’honneur des médias. A y regarder de plus près, on trouve leur point commun: c’est le manque total de volonté de les régler.
La cité de Calvin et son éternel jet d’eau. Eternels, comme les problèmes bien connus que les autorités ne cherchent pas à régler. Wikicommon
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1. Honneur aux dames

Mireille Vallette, dans son blog «Boulevard de l’islamisme», nous conte l’histoire de Marie. Mère de deux enfants de nationalité suisse et saoudienne, elle-même a porté divers voiles islamiques et, depuis cette période, se bat contre ces mœurs. Établie à Genève, elle observe fin juillet une femme devant le change Migros de Rive, le visage dissimulé. Elle l’interpelle pour lui rappeler qu’en Suisse a été votée une loi qui interdit de se voiler le visage. L’altercation se termine par un appel de Marie à la police. Une patrouille arrive et Marie explique à la policière la situation. Cette dernière «se montre stupéfaite, lui rit au nez, lui lance qu’il existe une marge d’interprétation de la loi et la laisse en plan».

Marie se renseigne auprès du porte-parole de la police, qui lui apprend qu’il n’existe pas encore de base légale pour sanctionner. Ce sera fait pour mars 2023. Rappelons que la loi en question a été votée au niveau fédéral en 2021. À Genève, des exceptions permettront de toute manière aux femmes de se recouvrir «si la dissimulation du visage est nécessaire à la liberté d’expression ou de réunion ou s’il s’agit de l’expression imagée d’une opinion». Nous voilà bien loin, en temps et en volonté politique, du respect du verdict des urnes.

2. Mendicité et droits de l’homme

Autre exemple: la mendicité. Une loi datant de 2008 interdisait de faire la manche sur tout le territoire genevois. La Cour européenne des droits de l’homme avait alors condamné la Suisse: interdire cette pratique serait contraire aux droits humains. La loi a donc été suspendue et les rues du canton prises d’assaut par les mendiants. Ce qui est encore le cas, bien qu’une nouvelle loi ait été votée par le Grand Conseil en décembre 2021. Celle-ci n’interdit pas la mendicité, à part près des écoles et des commerces. Là encore, contestation immédiate. Début août, la Chambre constitutionnelle genevoise valide la nouvelle loi et irrite les défenseurs des mendiants, qui entendent saisir le Tribunal fédéral. De son côté, le Département de la sécurité précise déjà qu’il ne faudra pas s’attendre à une multiplication des interventions policières: «Les injonctions aux intéressés seront toujours privilégiées par rapport aux sanctions tant que les forces de l’ordre ne seront pas confrontées à une opposition manifeste». Voilà quinze ans que dure ce dossier dans lequel on cherchera vainement une quelconque détermination du côté de l’exécutif.

3. Les dépanneurs

Les «dépanneurs», ce sont ces petites épiceries qui se multiplient dans les grandes villes. Le Grand Conseil s’est penché à plusieurs reprises sur ce sujet. Dès 2014, le député Thierry Cerutti (MCG) faisait part de ses préoccupations devant le développement de ces boutiques qui «viennent systématiquement remplacer les commerces de proximité voués à la disparition». Plusieurs auditions, dont celle de Pierre Maudet, alors conseiller d’État, démontraient que le problème était connu des autorités. L’élu soulignait «le développement autour de ces établissements de divers trafics, de nuisances en tout genre et même de bagarres impliquant l’intervention répétée de la police». Et de préciser que «toutes ces incivilités et infractions allant du simple délit à l’activité criminelle font d’ailleurs l’objet d’enquêtes plus approfondies de la part de la police judiciaire (blanchiment, recel, vente d’alcool, drogue, etc.)».

Que s’est-il passé depuis lors? Créée en 2016, c’est seulement fin 2019 que l’Inspection paritaire des entreprises (IPE) fait part de ses préoccupations concernant les dépanneurs, les barbiers et les coiffeurs. Les épiceries ouvertes 7/7 ne respectent pas la loi cantonale sur les heures d’ouverture dominicales, pas plus que la loi fédérale sur le travail. Seuls les cadres peuvent en effet exercer une activité le dimanche. Or, l’IPE a constaté que cette règle était souvent ignorée, voire contournée. «Une entreprise a inscrit six personnes comme patrons au Registre du commerce avec deux employés. Cinq d’entre elles possèdent une part sociale, la sixième tout le reste», a expliqué à la presse Joël Varone, président de l’IPE.

Ce n’est là qu’un des multiples problèmes rencontrés par la trentaine d’inspecteurs de l’IPE. Et de rappeler qu’une première condamnation a été rendue en 2019 pour violation de la loi sur le travail. L’entreprise fautive a écopé de 90 jours-amende à 150 fr. avec sursis. «Le Ministère public a tapé fort», s’est réjouie Mafalda D’Alfonso, juriste de l’association paritaire. Plusieurs autres cas ont été dénoncés aux autorités pénales. Ce qui n’empêche pas les dépanneurs et autres commerces ethniques de se multiplier.

Commentaire

Ces trois dossiers bien connus agacent les Genevois, tout comme les élus de tout bord que l’exécutif traite avec beaucoup de légèreté. Pour ne pas dire plus. Les habitants de la Cité de Calvin connaissent par cœur les litanies gouvernementales. Le voile intégral? Ce ne sont que quelques cas isolés qui ne méritent pas sévérité. La mendicité ? Elle ne gêne personne. Ce qui n’est pas vrai. Et le Conseil d’État feint d’ignorer les problèmes graves d’hygiène, les camps sauvages au bord de l’Arve et une précarité qui oblige les autorités à héberger les mendiants par temps froid. La facture devient salée pour les contribuables et coule certains budgets communaux. Quant aux dépanneurs, nous sommes au comble de l’hypocrisie. Ces commerces se multiplient sous nos yeux au détriment d’autres négoces, souvent avec l’aide de fonds douteux. Ils ne répondent souvent pas aux exigences légales, concurrencent les épiceries installées de longue date, vendent alcool et tabac aux heures interdites par la loi. Ils étaient 35 commerces aux Pâquis en 2014, ils y sont plus de 60 aujourd’hui. Ils se sont en outre éparpillés dans toutes les communes. Tous ces cas prouvent le laisser-aller du Conseil d’État, à l’image de son Service du commerce défaillant depuis trente ans. Tous démontrent l’absence de volonté politique… hors des campagnes électorales bien sûr !

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