La gauche marteau piqueur

Désobéissance civique des autorités, acte désespéré lié à la chaleur de l’été, urgence climatique déclinée par quartier... Que n’a-t-on pas lu sur l’affaire du « dégrappage de bitume » cautionné par la magistrate verte Frédérique Perler. Mais quelle attitude adopte cette dernière au moment de répondre aux élus du peuple? Récit de l’intérieur par Eric Bertinat, du Conseil Communal.
Frédérique Perler n’a pas su garder le même sourire face aux questions légitimes des élus du peuple. WIKICOMMON

Exigée par la droite (voir rappel des faits), la séance plénière du Conseil municipal du 5 juillet se déroule dans une atmosphère tendue. L’absence de la conseillère municipale Brigitte Studer (Ensemble à Gauche), membre de Survap, est remarquée. Une mise au point de l’exécutif communal est préalablement lue. Frédérique Perler admet que sa «vigilance s’est relâchée» mais affirme que ses «intentions étaient intègres». Et le Conseil administratif de nous informer dans son jargon inclusif (et interdit par les autorités cantonales) qu’«un-e magistrat-e» de l’ordre judiciaire à la retraite sera appelé à mener une enquête pour un coût annoncé de 10 000 francs. A partir de là, Frédérique Perler se mure dans son silence, affirmant réserver ses explications à d’autres. On pense au procureur général ou au Conseil d’Etat, autorité de surveillance des communes et de ses magistrats qui pourrait s’inviter dans le dossier et ouvrir une enquête administrative.

De très nombreuses questions orales sont néanmoins posées en première partie de séance, principalement à Frédérique Perler. En guise de réponse, l’intéressée mouline du poignet, la mine renfrognée, fidèle à ses promesses. L’assemblée comprend rapidement qu’elle ne répondra effectivement à rien, malgré la septantaine d’élus présents pour l’entendre. Vient le débat sur la motion à proprement parler. Alain Miserez (PDC) ouvre les feux: «Cette action de désobéissance civique, qui va dans la même veine que d’autres actions récentes, n’est pas anodine.» Et l’avocat de dénoncer un nouveau «dégât d’image terrible dans notre canton et dans notre pays». Un avis que son collègue Vert Omar Azzabi ne partage pas du tout: «L’heure est grave non pas parce qu’une action citoyenne illégale avoisinant les 3800 francs de dégâts fait la une de vos journaux, mais l’heure est grave parce ce que nous ne répondons pas assez vite à la détresse des habitants de certains quartiers exposés au réchauffement climatique comme les Pâquis». Daniel Sormani (MCG) s’énerve devant cette posture relativiste: «Manifester pour une cause oui, détruire ou endommager des biens non!»

Au terme d’un long débat, la motion est, sans surprise, jetée à la poubelle par la gauche, majoritaire et soucieuse de ne pas abandonner sa gaffeuse en cheffe. Le lendemain, la plainte sera également retirée par les collègues de Frédérique Perler. Les commentaires lus dans la presse ne sont pas tendres, la participation de la magistrate à cette pseudo-révolte des habitants du quartier des Pâquis passe mal. Difficile d’imaginer que l’affaire en restera là, même dans la torpeur de l’été. Dans les rangs de la droite, elle a en tout cas recréé un sentiment d’unité que l’affaire Maudet avait affaibli.

Rappel des faits

Dans la matinée du 22 juin, une «action sauvage» est menée rue des Pâquis par actif-trafiC et l’association de quartier Survap. Une douzaine de militants enlèvent du bitume au moyen de marteaux-piqueurs pour y planter du gazon et des fleurs. Les autorités de la Ville de Genève portent immédiatement plainte.
Il faut attendre près d’une semaine pour que l’affaire éclate. Plusieurs sources de la RTS affirment la même chose: le Département de l’aménagement de la Ville de Genève, dirigé par la Verte Frédérique Perler, était informé de l’action et avait donné son accord. Le 9 juin, les services municipaux avaient répondu positivement à une demande de manifestation pour une «occupation festive et conviviale de places de stationnement». Des contacts aussi bien oraux que présentiels avaient mené à cet accord.
La droite «élargie» (PLR, PDC, MCG et UDC) se réveille après un début de législature rendu difficile par la large majorité de gauche du délibératif. Une motion est déposée le 28 juin. Elle invite le Conseil administratif «à donner des réponses claires quant aux questions soulevées par la presse» et «à maintenir la plainte pénale déposée». Cette demande débouchera sur la séance extraordinaire du 5 juillet dont il est question ci-contre. EB

Commentaire

Les infractions qui éclaboussent la magistrate Verte de la deuxième plus grande ville de Suisse sont nombreuses: dommage à la propriété (art. 144 du code pénal), dégradation d’un bien appartenant à autrui, ou encore le fait de tracer des inscriptions, sans autorisation préalable, sur les voies publiques ou le mobilier urbain (art. 322 du code pénal). Joyeusement négligée, également, l’obligation de dénoncer faite aux autorités (art. 33 de la loi d’application du code pénal)… Mais peut-être plus que le respect des lois, c’est l’état d’esprit qui a entraîné Frédérique Perler dans cette péripétie bien genevoise qu’il convient d’observer. Au nom d’une cause, l’on se place non seulement au-dessus des lois mais au-dessus de sa fonction qui, cette année, coïncide avec celle de maire. Cela ne s’invente pas! L’activiste climatique prend clairement le dessus sur la conseillère administrative d’une commune de 200 000 personnes. Un mélange des genres qui semble être une mauvaise habitude dans ce Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité: l’ancien homme fort des lieux, Rémy Pagani, mélangeait sans vergogne sa casquette de magistrat avec celle de syndicaliste. Dans cette affaire tragi-comique, madame le maire a perdu la confiance de la population genevoise. Coincée entre activistes du climat, un parti qui se radicalise et sa fonction élective, elle aura peine à retrouver la confiance populaire.

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