La fin d’un monde

Réchauffement climatique, catastrophes naturelles, guerres civiles, mouvements de populations, mise en danger des échanges internationaux... nous sommes au XIIe siècle avant Jésus-Christ. Et si l’histoire éclairait le présent?
Il a fallu un siècle, entre 1250 et 1150 av. J.-C., pour que les sociétés du pourtour de la Méditerranée orientale s’effondrent. Au tour de la nôtre? Unsplash / Marcus Kauffman

J’aime beaucoup les aventures d’Astérix et Obélix en bande-dessinée. Je me souviens de quelques vignettes de L’Odyssée d’Astérix. Il s’agit de la scène où nos deux amis errent dans le désert et se font attaquer par toutes sortes de peuples aux noms étranges: Sumériens, Akkadiens, Hittites, Assyriens et Mèdes. Ces noms éveillaient en moi l’Orient et ses mystères.

C’est vers certains de ces peuples et ces territoires que Eric H. Cline nous entraîne dans son livre 1177 avant J.-C. – Le jour où la civilisation s ’est effondrée.

A lire le titre accrocheur, on pourrait penser à un ouvrage léger, or l’auteur n’est pas un dilettante mais un archéologue réputé qui dirige le Capitol Archaeological Institute de l’université George Washington.

Comme le constatait Gonzague de Reynold, «l’histoire est à trois degrés». Entre les œuvres scientifiques et académiques et le manuel de vulgarisation, il existe une place pour «la synthèse, destinée à mettre en valeur les résultats des recherches accomplies au premier degré, pour les offrir à un public déjà préparé par sa culture à assimiler des idées générales». Pour l’illustre seigneur de Cressier, c’est en cela que consiste l’histoire. On peut considérer que le livre de Cline est bien de cet acabit: une synthèse accessible et intelligente.

Il est un moment que les enseignants d’histoire ancienne redoutent, c’est celui où ils doivent parler de l’effondrement presque simultané des sociétés du pourtour de la Méditerranée orientale. Ils expliquent que cela est dû aux invasions des Peuples de la Mer et passent au point suivant. Cline va essayer de comprendre cet effondrement civilisationnel à la fin de l’âge du bronze récent. 1177 avant Jésus-Christ est une date pivot, comme 476 pour la fin de l’Empire romain d’Occident. En fait, il a fallu un siècle, entre 1250 et 1150, pour que cette civilisation s’effondre.

Le livre est construit comme une tragédie antique en quatre actes. Les actes I-II-III nous font parcourir les XVe, XIVe et XIIIe siècles avant Jésus-Christ. Nous découvrons l’importance des échanges commerciaux et diplomatiques entre les différents états ou Empires. Nous abordons la question de la Guerre de Troie, de la localisation des Hittites et de l’exode du peuple d’Israël ainsi que son installation au pays de Canaan, de l’importance du cuivre et de l’étain dans les échanges commerciaux. L’acte IV représente l’acmé du livre puisqu’il aborde le XIIe siècle et la fin de l’âge du bronze récent.

L’avant-dernier chapitre se propose de présenter ce que l’auteur appelle «la tempête parfaite». Il s’agit de la suite d’événements qui provoquent l’effondrement. Cline va décrire avec précision et rigueur les tremblements de terre, les changements climatiques entraînant des sécheresses et des famines, les troubles politiques et sociaux, les migrations de populations. Dans ce monde en mutation, le pouvoir change de nature et de mains, il passe des palais aux riches marchands. L’auteur relève que l’effondrement de la civilisation de l’âge du bronze semble dû à l’enchaînement de ces éléments dans un monde (déjà) interconnecté.
Si ce livre est rédigé comme une pièce de théâtre, il convient de signaler qu’il relève aussi de l’enquête policière, puisque Cline prouve ses assertions par des éléments matériels et des artefacts.

D’aucuns disent que l’histoire ne se répète pas et pourtant on peut distinguer des «lois» de l’histoire. Cela n’est pas nouveau: Albert Thibaudet et Arnold J. Toynbee ont comparé le suicide européen dans la Grande Guerre au suicide des cités grecques dans la guerre du Péloponnèse. Jules Isaac comparait le régime de Vichy à celui des Trente Tyrans d’Athènes, installé par Sparte. On ne parle même pas d’Oswald Spengler… Plus près de nous, Chantal Delsol compare la relation Europe/états-Unis avec la situation des Grecs face aux Romains.

En lisant cet ouvrage de Eric H. Cline, on ne peut qu’être frappé par les similitudes et les points de comparaison possibles avec notre époque. Laissons le mot de la fin à l’auteur, qui constate qu’après cet effondrement, «de nouveaux peuples et/ou de nouvelles cités-états comme les Israélites, les Araméens et les Phéniciens en Méditerranée orientale et, plus tard, les Athéniens et les Spartiates en Grèce ont réussi à s’établir. Nous leur devons de nouveaux développements et de nouvelles idées comme l’alphabet, le monothéisme et, finalement, la démocratie. Un gigantesque incendie est parfois nécessaire pour que l’écosystème d’une forêt ancienne se renouvelle et prospère.»

Eric H. Cline, 1177 avant J.-C. – Le jour où la civilisation s’est effondrée, La Découverte 2022, (première édition 2015).

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