« Je me fiche de passer pour un ovni »

Pour avoir posé la question éthique d’un « droit à l’avortement » sur un blog hébergé par Le Temps, l’ancienne conseillère nationale libérale et professeure de droit, Suzette Sandoz, fait face à un véritable déluge de pressions et de «remises à l’ordre». Mais pas de quoi la déstabiliser…
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N’avez-vous pas fait preuve d’un manque de sensibilité en affirmant qu’il n’y avait pas forcément un «droit à l’avortement»?


Tout d’abord, j’ai écrit «y a-t-il»! Je pose toujours une question parce que je veux ouvrir un débat, pas dire «moi j’affirme telle ou telle chose, et c’est comme ça un point c’est tout». Alors peut-être que je le fais avec certaines opinions, bien sûr, mais je recherche avant tout le débat. Dans le cas présent, j’ai écrit ce texte parce que j’étais révoltée et dégoûtée par les manifestations aux états-Unis où l’on voyait des femmes défiler en réclamant leur «droit à l’avortement», présenté comme une preuve de leur valeur et de leur liberté.

Révoltée, vraiment?


Oui, vous savez, je ne suis pas opposée de façon absolue à l’interruption de grossesse, qu’il faut encadrer légalement. Mais présenter ça comme la plus grande conquête de la femme, c’est quelque chose que je juge éthiquement insupportable.

Mais vous avez heurté des gens…


Je n’ai condamné personne, à ma connaissance, j’ai simplement souligné un problème éthique. Si ces manifestantes s’étaient promenées en demandant la possibilité de subir une interruption volontaire de grossesse et non pas un avortement, je n’aurais pas réagi de la même façon. Ce sont des finesses linguistiques, certes, mais au fond, cela aurait impliqué qu’on envisageait les choses sous l’angle de la détresse, du besoin d’aide. Parler de «droit à l’avortement», à l’inverse, cela signifie que lorsque j’ai en moi quelque chose qui me déplaît, eh bien je peux le supprimer à ma guise, au mépris d’une personne éventuelle.

Venir avec des subtilités byzantines en opposant avortement et IVG, est-ce vraiment bien senti?


Est-ce que vous voulez dire que cela devrait être interdit parce que mal «senti»? Ou alors demandez vous s’il ne faudrait plus aborder certains sujets parce que les gens sont devenus bêtes au point qu’on finira par passer pour un ovni si on ose le faire? Vous savez, cela m’est égal de passer pour un ovni, en revanche j’aimerais savoir pourquoi la sensibilité d’un sujet devrait entraîner l’interdiction d’en discuter. Si tel devait être le cas, autant tous rester au fond de nos lits avec un bon bouquin, mais les bons bouquins finiront par devenir eux aussi trop sensibles pour être publiés…

Vous n’aimez pas la notion de «droit à». Mais entre le droit et l’interdiction, existe-t-il un moyen terme?


Tout n’est pas un «droit à», dans la vie. Il existe aussi des autorisations…

On se bat tout de même sur des mots…


Parce qu’ils sont importants! On m’a par exemple reproché d’avoir «violé le droit» en utilisant le terme d’«enfant» futur. Mais je me plaçais dans le contexte éthique et pas juridique, et on ne demande généralement pas à une femme si elle attend un fœtus ou un embryon, mais bien un enfant. Sincèrement, je n’ai pas compris: selon certains, la loi nous obligerait-elle à demander «ah vous attendez un embryon» ou «un fœtus»? C’est d’une bêtise inimaginable! Une personne parmi mes commentateurs a même comparé l’embryon à un têtard. Je me suis quand même permis de l’informer qu’on ne donne pas naissance à une grenouille par la suite!

Que Le Temps vienne vous faire la morale, par la suite, ça vous a fait quoi?


Au téléphone, ils m’ont dit qu’avec mon nom et mon parcours, je ne pouvais pas me permettre d’écrire des choses contraires au droit. Et dans un courriel qu’ils m’ont envoyé, il m’ont aussi dit qu’il était impossible d’employer le terme de «mise à mort» dans un contexte légal. Vous savez, je suis opposée à la peine de mort, mais je leur ai tout de même demandé si, lorsqu’une personne est légalement exécutée, on peut ou non parler de mise à mort…

Vous prêtez quand même le flanc à la critique en vous exprimant sur le terrain de l’éthique alors que votre expertise est juridique…


Excusez-moi, mais ne pouvez-vous pas parler d’éthique alors que les cours d’introduction au droit montrent justement quelle est la surface commune des deux cercles, droit et éthique? Le droit, d’ailleurs, n’en reprend qu’une petite partie, l’éthique étant bien plus étendue…

Vous avez reçu du soutien au sein du monde politique?


Pas au sein du PLR vaudois, en tout cas, mais c’est normal, je n’en suis pas membre et j’y suis totalement persona non grata.

Cela vous plaît, ce rôle d’empêcheuse de tourner en rond? Vous vous rendez bien compte qu’il y a un sens du débat qui s’effondre dans notre société…


Oui et c’est précisément pour ça que j’aimerais le relancer.

N’y a-t-il pas une forme de jubilation?


Plutôt une recherche d’incitation à la réflexion, je dirais. Pourquoi ne pourrait-on pas dire que l’on réfléchit? On n’arrête pas de nous dire que nous sommes responsables de tout, du climat, de la guerre, des inégalités. On met le monde sur le dos de nos enfants à l’école et nous, comme adultes, nous ne pourrions pas poser une question sans que ce soit considéré comme une atteinte à la dignité des gens? Il y a là une dérive à laquelle je vais continuer à m’opposer.

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