« Il y a un problème bien plus profond que l’annulation de concerts »

Les annulations de musiciens blancs férus de reggae se multiplient, sous couvert de lutte contre l’«appropriation culturelle». Président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra Suisse), l’avocat Philippe Kenel lance un appel: et si on oubliait la couleur de peau des gens?
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Philippe Kenel, depuis quelques semaines, les cibles de certains militants antiracistes sont des fans de reggae, sous prétexte que leur couleur de peau leur interdit de se réclamer d’une culture noire. Cela vous inquiète?

C’est une question de fond très importante, en tout cas. Je fais partie d’un courant que je crois largement majoritaire à la Licra et qui souhaiterait que la couleur de peau des uns et des autres ne paraisse pas importante pour évaluer telle ou telle situation. Par exemple, quand Barack Obama avait été élu la première fois, je me souviens que des journalistes m’avaient appelé pour me demander si cela signifiait que le racisme était mort selon moi. Croyez-moi, j’aurais rêvé que ce soit le cas, mais j’aurais également aimé que l’on parle de l’élection du président américain sans devoir évoquer sa couleur de peau.

Ces partisans des annulations de concert sont-ils des alliés de votre cause?

Leurs valeurs ne sont pas totalement contraires aux nôtres dans la mesure où le but poursuivi par les uns et les autres reste l’égalité. Mais il y a une vision déterministe qui consiste à dire que si vous êtes d’origine africaine, européenne ou asiatique, vous n’avez pas le droit de vous intéresser aux mêmes choses. Cette idée d’un ancrage culturel extrêmement marqué me paraît largement contre-productive. Elle pose des problèmes bien plus importants que des annulations de concert, car elle remet en cause un certain universalisme auquel nous sommes attachés.

Est-ce qu’il n’y a pas aussi un conflit de générations entre militants antiracistes, qui s’exprime actuellement?

On peut peut-être observer la même chose au niveau du combat féministe: oui, il y a un décalage générationnel qui s’accroît et qui m’inquiète. Face à cette situation, j’aimerais réunir tout le monde autour de la table. Encore une fois, il me semble important de souligner que nous avons des buts semblables les uns et les autres, même si nous divergeons sur les méthodes à employer pour les poursuivre. Dès lors, pourquoi ne pas convoquer des assises regroupant toutes les associations luttant contre les discriminations sous toutes les formes pour mieux se comprendre? Je l’avais fait il y a plus de dix ans et je pense que c’est le moment de remettre le couvert. Je ne suis cependant pas naïf, et je sais bien que certains refuseraient de se joindre à un tel événement. Mais c’est parce que ce sera difficile que ce sera intéressant.

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