« Il n’y a pas d’opportunisme de ma part »

Il a connu tous les niveaux ou presque de l’église et de la politique suisse. Visage médiatique incontournable du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg à la fin des années 2000, Nicolas Betticher sort de dix ans de silence avec un livre, Malgré tout, dans lequel il appelle à une nouvelle Réforme. Désormais «simple curé» à Berne, il dénonce une véritable crise institutionnelle catholique dans un livre retentissant.
L’abbé Nicolas Betticher avec dans ses mains Malgré tout, sa petite bombe qui vient de paraître aux Editions Saint-Augustin. RP
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EEn sortant de ce bistrot, que se passera-t-il si vous croisez Mgr Morerod?

Rien de particulier. On se saluera et je serai heureux de savoir comment il va.

Vous l’avez vu, depuis la sortie de votre livre?

Non, le dernier contact date de mon excardination (ndlr: le fait de se séparer de son diocèse pour un prêtre), il y a une année et demie.

Vous avez des anecdotes terribles sur les évêques, dans votre livre. Vous racontez par exemple le moment où l’un d’eux laisse des enfants en plan pour courir après sa calotte emportée par le vent. Vous réglez enfin vos comptes?

Pas du tout. D’ailleurs je ne cite jamais les noms des personnes concernées par ces épisodes, qui ont près de trente ans pour certains. En fait, je réponds simplement à une demande du pape François : au travers des faits concrets que j’ai vécus, et que je rapporte ici, j’essaie de dire ce qui peut être fait pour améliorer la conduite de l’Église, qui est extrêmement lourde pour les évêques. Actuellement, ces derniers concentrent les pouvoirs de chefs spirituels, de patrons et de juges suprêmes. Or je crois que ce système doit être dépassé, car il écrase les hommes qui ont ces fonctions. Et quand on est écrasé, on ne fait pas toujours du bon travail.

Vous proposez un « renouveau », dans la gestion des diocèses, que vous opposez à la tentation de la « liquidation partielle ». C’est une décision en particulier de Mgr Morerod à laquelle vous vous attaquez ici?

Mon propos est plus général: j’ai le sentiment qu’il faut décentraliser la conduite de l’église. Beaucoup de choses qui sont aujourd’hui décidées par Rome doivent l’être sur place, à la lumière des besoins que les gens ressentent réellement, dans leur diocèse. A ce moment-là, je suis convaincu qu’une forme de crédibilité de l’église reviendra.

Vous avez été un homme de pouvoir, dans la religion comme en politique, d’ailleurs. N’est-ce pas un peu paradoxal, aujourd’hui, de vouloir casser le système?

Mais je ne veux pas «casser le système» ! Je veux simplement que les pouvoirs soient confiés à des personnes qui ont les charismes nécessaires pour les assumer. Je n’apporte rien de nouveau par rapport aux piliers de la foi: ce que je fais, c’est puiser dans l’histoire de l’Église pour trouver les bonnes réponses à des problèmes structurels. Jusqu’au XIIe siècle, par exemple, on avait une séparation des pouvoirs, que j’appelle un «splitting» dans mon livre. C’est seulement après cette époque qu’on a concentré les différents ministères sur des personnes ordonnées. Jusqu’alors, dans certaines abbayes territoriales, le pouvoir administratif et décisionnel pouvait même être en main d’une femme, abbesse, qui était mitrée et crossée.

Ces jours, on vous découvre d’une manière très éloignée de l’image plutôt stricte qui était la vôtre durant votre «pic médiatique», à la fin des années 2000. Aviez-vous l’envie, en quelque sorte, de vous «mettre à nu»?

Peut-être l’envie de mettre de la distance avec l’image que l’on m’a faite. Ce ne sont pas que les médias qui en sont responsables, d’ailleurs. Ils faisaient avec ce qu’ils recevaient comme «nourriture» et je crois qu’il y a eu beaucoup de médisance et de jalousie à mon égard à cette période. Il est vrai que j’ai eu subitement un certain pouvoir lorsque Mgr Genoud était malade. Par loyauté envers lui, j’ai accompli le travail qu’il me confiait tout en sachant bien que cela allait m’attirer la critique de confrères. Et je suis moi-même capable de critique envers ma propre situation: dans le contexte des affaires d’abus sexuels à la fin des années 2000, par exemple, j’ai été à la fois official, donc un homme de justice au niveau du diocèse, et porte-parole. Un mélange qui n’était pas idéal.

Est-ce qu’il y a une part d’opportunisme, aujourd’hui, à vous présenter comme un réformiste sous un pontificat qui prône ce genre de choses, tandis que vous apparaissiez comme un conservateur sous Benoît XVI?

Mais j’étais porte-parole, à l’époque, et j’exerçais un ministère directement lié à l’évêque. Désormais, je me sens beaucoup plus libre parce que je suis un prêtre en paroisse et un théologien, qui prend le risque de la parole conformément à la demande du pape. Franchement, il n’y a pas d’opportunisme dans ma démarche. Ce qui m’a incité à écrire ce livre, c’est de voir des gens qui souffrent à cause du système, et qui n’osent pas parler.

Ces gens, vous les avez rencontrés quand?

Principalement ces dix dernières années. Je me sens le devoir de les aider.

Vous vous montrez parfois très élogieux à l’égard de l’Église allemande, ou suisse allemande, alors qu’elles sont tout de même très libérales et marquées par le protestantisme. C’est un hasard?

Martin Luther lui-même voulait ce que beaucoup voudraient aujourd’hui: faire évoluer l’église parce qu’il voyait que ça ne marchait pas bien sur certains points. Résultat, on l’a mis dehors, excommunié. Aujourd’hui, je pense que nous devons tous avoir le droit de dire certaines choses sans pour autant que la communion soit blessée. Et j’aimerais même dire qu’il ne s’agit pas seulement d’un droit, mais aussi d’un devoir.

Vous avez le sentiment d’avoir fait souffrir des personnes à cause de vos fonctions. C’est un sacré poids, non ?

Oui. C’est un sacré poids. Et quand on a une responsabilité, il faut l’assumer. Et quand on décide, on mécontente souvent une partie des personnes concernées. C’est normal. Mais il faut essayer de faire au mieux, de trouver un chemin qui rassemble un maximum de personnes et qui cherche sans cesse le compromis. Mais attention, le pouvoir mal défini et mal vécu peut rapidement conduire à l’abus de pouvoir. Mon livre tente de démontrer ce mécanisme et d’esquisser aussi des solutions.

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