Flou statistique sur le front de l’asile

Si le Secrétariat d’Etat aux migrations sait combien de personnes doivent quitter le territoire suisse, il peine à renseigner sur quantité de chiffres cruciaux.
4277 personnes en Suisse faisaient l’objet d’une décision de renvoi à la fin septembre. Oui, et après? UNSPLASH
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En France, depuis quelques semaines, l’acronyme «OQTF» a tendance à s’insérer dans de nombreux articles de presse relatifs à des crimes, souvent violents et choquants. «OQTF», pour obligation de quitter le territoire français. Cette suite de lettres apparaît notamment dans l’affaire d’un Algérien ayant violé une jeune femme à Marseille dans la nuit du 21 au 22 octobre. Plus marquant encore, le terrible meutre de la jeune Lola, commis le 14 octobre à Paris par Dahbia B., Algérienne ultra-violente sous le coup d’une OQTF jamais mise à exécution. Et pour cause, Marianne nous apprend qu’en 2019, seules 12,4 % des OQTF étaient exécutées en France, c’est-à-dire 14 777 sur 122 839. Au premier semestre 2021, seules 5,6 % des OQTF avaient réellement conduit au départ des étrangers visés, soit seulement 3501 sur 62 207. Ratios étonnants, lorsque le document administratif contient «obligation» dans son intitulé.

Le Peuple a voulu savoir ce qu’il en était en Suisse, notamment dans la continuité de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels, acceptée par les citoyens en 2010. Anne Césard, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), nous indique qu’à la fin septembre, 4277 personnes en Suisse faisaient l’objet d’une décision de renvoi: «Les requérants d’asile dont la demande a été rejetée, mais aussi les personnes qui séjournent illégalement en Suisse, ont l’obligation de quitter le pays. Les cantons sont responsables de l’exécution des renvois. Le SEM soutient les autorités cantonales de migration dans l’exécution des renvois et des expulsions d’étrangers, c’est-à-dire dans la vérification de l’identité, l’obtention des documents de voyage et l’organisation du départ des personnes concernées.»

Yves Nidegger, conseiller national UDC de Genève, rappelle que le SEM n’a pas la compétence pour décider des renvois: «Le SEM passe souvent pour un organisme méchant mais il n’a pas de dents, ceux qui ont des dents ce sont les cantons. Et on peut constater une certaine disparité dans l’application du droit fédéral par ces derniers. Un canton comme Genève prononce peut-être un nombre important de renvois mais en applique peu alors que les Grisons, par exemple, en prononcent peu mais les font réellement appliquer.»
Nous avons également montré ces chiffres à Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise. Ce dernier embraie rapidement sur la question de l’immigration de manière générale: «Cette année est particulière avec l’introduction du permis spécial S (papier d’identité autorisant le séjour provisoire en Suisse pour les personnes à protéger). A l’UDC, nous estimons que c’est une erreur. 120 000 personnes sont arrivées cette année avec ce statut, couplées à 25 000 autres. Cela représente environ 3 milliards de francs de surcoûts, c’est très inquiétant. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les décisions de renvoi soient appliquées par les cantons, surtout le mien, qui n’a pas toujours été très assidu avec le droit fédéral en la matière.»

Lionel Walter, porte-parole de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), tempère. Pour lui, il s’agit de préciser que les renvois ne concernent pas uniquement les individus ayant commis un acte illicite: «Le panorama est très varié. Certaines personnes sortent de la procédure d’asile après que leur demande a été rejetée et que les voies de recours ont été épuisées, mais d’autres peuvent avoir un autre passé: des travailleurs dont le permis n’a pas été renouvelé pour diverses raisons, des personnes qui ont toujours séjourné en Suisse de manière irrégulière (c’est-à-dire sans papiers), etc.» Lionel Walter précise que l’OSAR n’est pas un organe qui peut offrir du soutien à un étranger devant quitter la Suisse: «Notre activité se concentre sur les demandeurs d’asile, de sorte que nous ne sommes pas directement concernés par la situation des sans-papiers.»

Transparence difficile

Si le SEM a rapidement répondu à nos premières questions, il en va autrement lorsque nous cherchons à savoir combien des 4277 personnes faisant l’objet d’une décision de renvoi ont bel et bien quitté le territoire suisse au mois de septembre. Dans un premier temps, on nous a répondu que les chiffres consolidés jusqu’à octobre devaient arriver «en fin de semaine» ou «la semaine prochaine». Ceux-ci ne seront finalement disponibles qu’à la mi-novembre. Dès lors, nous avons demandé ceux des neuf premiers mois de 2022, qui devaient être facilement communicables. Réponse: «Nous répondrons à cette question (statistiques de janvier à septembre) lorsque nous vous fournirons les chiffres d’octobre, soit vers la fin de cette semaine ou en début de semaine prochaine.» Miracle! Les départs concernant le mois de septembre nous sont communiqués juste avant le bouclage. Le SEM nous apprend donc que 3608 départs ont eu lieu, de façon volontaire ou non.

Cette lenteur administrative inquiète quelque peu Kevin Grangier: «Je suis interpellé par le peu de transparence du SEM. Les chiffres pour le premier semestre devraient être facilement accessibles pour le public. On pourrait être tenté de se dire que la situation migratoire est hors de contrôle ou pénible à communiquer. Tout ceci n’est pas une bonne nouvelle et témoigne d’une certaine tension sur le front de l’asile en Suisse.»

Autre statistique difficile à obtenir de la part du SEM: le nombre de personnes devant quitter le territoire qui seraient «perdues dans la nature». Anne Césard nous gratifie d’une réponse fort évasive: «De par la force des choses, en cas de départ incontrôlé, les autorités ne disposent généralement pas d’informations sur le lieu exact où se trouvent les personnes tenues de quitter le pays. Le SEM part toutefois du principe que les personnes concernées ont, dans leur grande majorité, quitté la Suisse.»

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