De l’idolâtrie à la liberté

Face au monde contemporain et à ses multiples crises et soubresauts, il semble que nous soyons condamnés soit à la nostalgie d’un âge d’or mythique, soit à la fuite en avant vers des lendemains qui ne chanteront jamais. La publication d’un choix de textes de William Cavanaugh nous propose un autre regard.
Ayant connu les troubles sociaux au Chili, Cavanaugh n’a rien d’un théologien de salon. Unsplash / Kyaw Tun

L ors d’une rencontre officielle entre différents intervenants de la vie associative et les autorités politiques, j’ai été étonné que les églises reconnues acceptent d’être assimilées, avec une certaine satisfaction même, au club de football, au chœur mixte ainsi qu’à la section locale des paysannes vaudoises. Mon étonnement est renouvelé chaque année lors de la campagne de carême desdites églises, dont les discours semblent être ajustés sur la bien-pensance de la société séculière. Rebelote avec l’affichage de banderoles sur les lieux de culte lors de la campagne pour des multinationales responsables. Le discours, la communication et le message des églises doivent-ils être le pastiche d’un discours mondain et séculier ? Comme le relevait Nicolas Gomez Davila: «Dans le sein de l’Église actuelle, sont ʻintégristesʼ ceux qui n’ont pas compris que le christianisme a besoin d’une nouvelle théologie, et ʻprogressistesʼ ceux qui n’ont pas compris que la nouvelle théologie doit être chrétienne.» William Cavanaugh relève le défi et évite de tomber dans cet écueil.

«Cavanaugh met le doigt là où cela fait mal en empruntant un langage nouveau loin des amphithéâtres des facultés de théologie et des sacristies sentant le renfermé.»

Né en 1962, William Cavanaugh est professeur à l’université DePaul de Chicago depuis 2010. Loin d’être un «théologien de salon», malgré sa collection de diplômes (Université Notre-Dame dans l’Indiana, puis Cambridge en Angleterre), il s’est engagé activement pendant deux ans dans les bidonvilles de Santiago du Chili sous la dictature du général Pinochet. Il résume ainsi son approche originale: «J’essaie d’établir des relations entre d’une part le dimanche et d’autre part le lundi, en passant par le vendredi. En d’autres termes, des relations entre la vie de l’Église – spécialement l’eucharistie – et la vie de tous les jours. Je veux combler une lacune qui ne devrait pas exister mais qui est bien réelle.»

Bien que composé d’un choix de sept articles et conférences, Idolâtrie ou liberté – Le défi de l’Église au XXIe siècle nous présente une pensée cohérente et construite. La trame de ce livre se décline en différentes nuances d’idolâtrie qui étouffent la liberté et empêchent l’adoration véritable.

Cavanaugh insiste sur l’idée d’idolâtrie qui semblait ne faire plus grand sens. Il nous rappelle que la Bible «ne considère pas l’idolâtrie d’abord comme une erreur, c’est-à-dire comme la fausse croyance en la divinité de simples statues», «mais comme une trahison de la loyauté envers le Dieu d’Israël». En fait, l’être humain ne peut pas échapper à cette alternative: soit il est esclave d’une idole (patrie, argent, race, etc.), soit il est dépendant de Dieu. L’idole représente quelque chose que l’on prend pour Dieu, qui porte le masque de Dieu, mais qui ne l’est pas. Plus on cherche à expliquer notre réalité par l’idole, plus on s’aperçoit qu’elle est incapable de tenir ses promesses et ses prétentions d’absolu. Plus l’idole est exaltée, plus disparaît l’humain. L’idole altère la forme des choses et enténèbre le regard. «Adorez l’argent, et vous n’en aurez jamais assez. Adorez votre corps, et vous vous sentirez toujours laid. Adorez le pouvoir, et vous aurez toujours peur; et ainsi de suite.»

Un autre thème important de cet ouvrage est celui de la liberté. Trop souvent nous la comprenons comme une absence de contrainte. Pour William Cavanaugh, la liberté ne se réduit pas à une liberté de, mais à une liberté pour, c’est-à-dire à une capacité d’atteindre des buts valables qui trouvent leur accomplissement en Dieu. En effet, «les gens ont besoin de suivre Dieu pour être libres». La liberté est donc une pleine satisfaction, comme un accomplissement total, comme la capacité de Dieu. Cette liberté en Dieu se vit avec la communauté des croyants, l’Église. Cavanaugh n’hésite pas à invoquer le patronage de saint Augustin pour affirmer que «l’Église fonctionne à peu près de la même manière que les Alcooliques anonymes» …

La lecture de Idolâtrie ou liberté remplit bien son programme. Cavanaugh met le doigt là où cela fait mal en empruntant un langage nouveau loin des amphithéâtres des facultés de théologie et des sacristies sentant le renfermé. Il ne prend pas le discours mondain et séculier ni ses techniques de marketing discutables quant elles sont appliquées à la religion. Il nous fait retourner vers l’essentiel: Dieu. Il nous montre que «la foi n’est généralement pas quelque chose qui surgit dans un éclair de lumière aveuglant, mais elle se construit au fil du temps par de petites actions: dire une prière pour un ami, couper des légumes pour la soupe populaire, poser son derrière sur un banc chaque dimanche matin (…)». Il nous rappelle que l’être humain n’est pas seulement «un zoon politikon» (un animal politique) ou un «homo œconomicus», mais aussi un «homo liturgicus», un être fait pour l’adoration et la louange.

William Cavanaugh, Idolâtrie ou liberté – Le défi de l’Église au XXIe siècle, Salvator, 2022.

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