Après l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade, quoi ?

Face à une possible annulation de l’arrêt Roe v. Wade, Margaret Atwood mettait en garde contre le risque de « dictature théocratique »*. On pensait immédiatement à celle que les Talibans ont instaurée en Afghanistan. Mais la nouveauté, c’est que, de son point de vue, les États-Unis pourraient tomber dans le même travers. En décidant d’annuler cet arrêt, la Cour suprême semble lui avoir donné raison.
Une manifestation "pro-choix" aux Etats-Unis. Photo by Gayatri Malhotra on Unsplash
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Néanmoins, le fait que « nous n’avons rien connu de tel de notre vivant », comme l’admet un homme politique américain,
devrait nous alerter. Si, après 50 ans de jurisprudence, la question du contrôle de l’avortement a ressurgi avec tant de force,
c’est que sa pratique n’est pas anodine. Elle remet brusquement sur le tapis plusieurs questions qui dépassent le cadre des
convictions individuelles.

Quand un embryon devient-il un être humain ?


Pour certains, il commence par n’être qu’un amas « anonyme » de cellules. Si c’est le cas, à quel stade de son développement
peut-on le considérer comme une personne ? À partir des premiers battements du cœur ? Quand la médecine le considère
viable ? Il est pratiquement impossible de répondre à cette question parce qu’elle suppose, comme le dualisme grec, une
séparation entre matière et esprit. C’est ce qu’illustrent les différentes lois sur les délais.

En juillet 2020, Curtis est né en Alabama à 21 semaines de grossesse. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, où l’avortement est
possible respectivement jusqu’à la 22 e et la 24 e semaine, ses parents auraient pu décider qu’il n’était pas désiré et obtenir un
avortement. Par contre, une telle démarche leur aurait été impossible en Suisse où la loi, sauf exceptions, place la limite à 12
semaines.

Face à l’impossibilité de déterminer quand un embryon devient une personne, il est plus simple d’admettre que les êtres
humains conçoivent et donnent naissance à d’autres êtres humains. Cela implique que, dès sa conception, l’embryon est un
corps en devenir doté d’esprit et un esprit habitant ce corps en devenir. Ce fait ne dépend ni de son développement ni de
l’attachement plus ou moins fort que sa mère et son père éprouvent pour lui mais de sa condition humaine.

Dès sa conception, l’embryon est un corps en devenir doté d’esprit et un esprit habitant ce corps en devenir. Ce fait ne dépend ni de son développement ni de l’attachement plus ou moins fort que sa mère et son père éprouvent pour lui mais de sa condition humaine.


Quel est le rôle de la loi dans nos sociétés ?

Son but premier est de préserver la vie humaine. Mais qu’est-ce qu’être humain ? Est-ce une qualité partagée par tous ? Les
femmes, les esclaves, les gens d’une autre couleur ou d’une autre religion, les enfants et en particulier les enfants à naître
sont-ils tous, au même degré, humains ? Les avis ont beaucoup varié dans le passé et ils diffèrent aujourd’hui encore. Mais
dans les sociétés qui ont bénéficié de l’éclairage biblique, l’idée que les humains portent en eux l’image de Dieu les a
radicalement transformées. La polygamie a disparu. L’esclavage aussi. L’éducation des filles est devenue possible. Et, depuis
peu, certains pays européens condamnent les relations sexuelles non consenties. C’est dans ce contexte de reconnaissance de
la dignité de tout être humain que se repose la question de la protection de l’embryon.

Comment évoluent les cultures ?

Elles changent en fonction de ce que leurs membres croient à propos de Dieu, d’eux-mêmes, des autres et de la nature. Elles
peuvent évoluer vers une meilleure protection de la vie ou retourner à la barbarie. Abandonner l’idée que l’être humain est
« image de Dieu » rend toutes les dérives autoritaires possibles et amplifie les inégalités sociales. En d’autres termes, nos
cultures sont plus ou moins saines et peuvent, dans certains domaines, faire fausse route. Cette observation vaut pour notre
conception de la sexualité.

Comment repenser la sexualité ?

Cette question est liée à celle de l’avortement. Making Love Makes Babies ! avertissait une affiche. Elle rappelait qu’une
relation intime engage notre responsabilité. Le Make Love, not War de la contre-culture américaine des années 60-70 a tourné
en dérision la pruderie d’une génération jugée autoritaire et martiale. Il a aussi contribué à répandre l’idée que la sexualité
était naturelle et bonne (ce qu’elle est), et pouvait être vécue comme un loisir sans conséquence (ce qu’elle n’est pas).
Cinquante ans plus tard, le mouvement #MeToo nous a fait savoir que le jeu était trop inégal et qu’il fallait siffler la fin de la
partie.

Si, suite à la décision de la Cour suprême, certains États américains réduisent les délais dans lesquels l’avortement est
possible, il y a peu de chance que le pays, comme le suggérait Margaret Atwood de manière dramatique, revienne aux procès
en sorcellerie du XVIIe siècle. Plutôt que de voir dans l’idée de limiter les possibilités d’avorter un mal absolu, il serait sans
doute préférable de proposer une réflexion renouvelée sur la sexualité. C’est en effet une réalité morale et spirituelle
qu’hommes et femmes doivent approcher à la lumière du fait qu’ils sont, les uns et les autres, « images de Dieu ». Se
reconnaître mutuellement cette dignité épargnerait sans doute à bien des couples les tourments d’un avortement.

Christian Bibollet – membre de la Paroisse de la Rive droite – Genève
*Rubrique Opinion, LT, 3.6.2022

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